Histoire du parfum

 

INTRODUCTION


La Société Française des Parfumeurs a fait appel aux connaissances de Mme Annick Le Guérer pour vous conter l’Histoire du Parfum.

Annick Le Guérer, Docteur de l’Université, anthropologue et philosophe, spécialiste de l’odorat, des odeurs et du parfum., chercheuse associée à LIMSIC, Université de Bourgogne.

A publié notamment : LES POUVOIRS DE L’ODEUR (François Bourin, 1988, Odile Jacob, 1998,  2002),  LE PARFUM DES ORIGINES À NOS JOURS (Odile Jacob, 2005), HISTOIRE EN PARFUMS (Le Garde Temps, 1999), SUR LES ROUTES DE L’ENCENS (Le Garde Temps, 2001), QUAND LE PARFUM PORTAIT REMÈDE (Le Garde Temps, 2009), L’OSMOTHÈQUE, SI LE PARFUM M’ÉTAIT CONTÉ (Le Garde Temps, 2010), 100 000 ANS DE BEAUTÉ (en collaboration, Gallimard, 2011).

Commissaire scientifique de plusieurs expositions sur le parfum dont LES POUVOIRS DE L’ODEUR, au Compa, à Chartres, JARDINS DES CLOÎTRES, JARDINS DES PRINCES, QUAND LE PARFUM PORTAIT REMÈDE, à Saint Antoine L’abbaye, L’ART DU  PARFUM, au Ministère de la Culture Paris, PARFUMS ANTIQUES, SENTEURES BIBLIQUES,au MIR,  à Genève, LE PARFUM, MIROIR DE LA SOCIÉTÉ, Château de la Roche Jagu. 

 

LES TEMPS MODERNES 


L’avènement des produits de synthèse

Avec l’essor de la chimie organique, dans la seconde partie du dix-neuvième siècle, le parfum se libère de ses origines naturelles en associant des odeurs artificielles aux matières odorantes traditionnelles et en développant des fragrances inédites. En 1868, le chimiste Perkin obtient, par voie synthétique, le principe odorant de la fève tonka, la coumarine. Ce produit chimique évoquant l’odeur du foin coupé est présent, pour la première fois, dans la fameuse "Fougère Royale" d’Houbigant, créée par Paul Parquet.C’est ensuite Reimer qui produit industriellement la vanilline, puis Baur qui réalise un musc artificiel. En 1898, Tiemann met au point le parfum artificiel de la violette, l’ionone. Le grand parfumeur François Coty y fera appel pour lancer, en 1905, "L’Origan".

Les produits de synthèse, d’abord mal acceptés dans la parfumerie de luxe, car accusés d’être vulgaires et de défigurer les fragrances naturelles, s’imposent avec "Jicky", créé en 1889, par Aimé Guerlain. Pour la première fois, la "dénaturation" causée par des produits de synthèse est accueillie en tant qu’expression artistique. Ces nouvelles molécules, aux odeurs parfois surprenantes, favorisent des créations qui se démarquent du réél. Contemporains de la peinture impressionniste qui ouvrira la voie à l’art abstrait, "Fougère royale" et "Jicky " sont les précurseurs d’une parfumerie qui prétendra au siècle suivant "être l’art abstrait par excellence".

L’alliance de la couture et de la parfumerie

Au début du XXe siècle, les succès des parfums Coty, Guerlain, Houbigant, Roger & Gallet, Bourjois, Caron, Millot, confèrent à la parfumerie française une réputation internationale et encouragent les grands couturiers à se lancer dans ce domaine lucratif. En 1911, Paul Poiret est le premier à s’y risquer mais il ne parvient pas à imposer ses "Parfums de Rosine" dont la composition laisse à désirer. C’est véritablement le révolutionnaire n°5 de Gabrielle Chanel qui scelle l’union de la haute-couture et de la parfumerie. Cette réussite a ouvert la voie à de très nombreux couturiers. 

Marketing et concentrations

De 1905 à 1960, époque de l’ apogée de la parfumerie française, les parfums sont le fait d’ un petit nombre de compositeurs qui ont le temps et les moyens de créer des produits mondialement reconnus. Mais au début des années soixante-dix, sous l’emprise croissante du "marketing", de nouvelles techniques de vente apparaissent, accordant beaucoup plus d’importance à la publicité et à la communication qu’au parfum proprement dit. La tendance étant de produire vite et beaucoup, de nombreux parfums sont des copies, voire même des copies de copies. Cette situation aurait abouti, selon le grand parfumeur Edmond Roudnitska, à une "cacophonie olfactive", une baisse de la qualité des produits et à un déclin de la création.

A partir de la fin des années quatre-vingt, dans un contexte de crise économique mondiale, la concentration des sociétés de parfums au sein de quelques grands groupes internationaux comme Estée Lauder, L’Oréal, LVMH, Unilever, Sanofi, Procter & Gamble, Shiseido, achève de transformer profondément la parfumerie. Jadis artisanat de luxe, elle est devenue une grande industrie internationale.

Tendances actuelles

Si, à l’heure actuelle, cette structure générale n’est pas remise en cause, plusieurs tendances atténuent l’uniformisation qu’elle pourrait engendrer. D’abord, certains créateurs ont occupé les "niches" laissées vacantes par les grandes maisons. Les créations "abstraites" coexistent avec le renouveau d’une parfumerie plus figurative qui puise dans des notes savoureuses ou évocatrices de la modernité : figue, céréales, cacao, noisette, thé, porto, fumée, métal, bakélite, bitume etc... Par ailleurs, la parfumerie contemporaine redécouvre les vertus anciennement attribuées aux odeurs et cherche de nouveaux ancrages dans des thèmes comme le bien-être et la santé. Dans un environnement où l’on rencontre de plus en plus de stress, de nombreux produits "vitalisants", "tonifiants", "relaxants", "purifiants", "apaisants", qui visent une action bénéfique sur le corps et l’esprit sont apparus sur le marché..

Ainsi, la parfumerie d’aujourd’hui offre le spectacle d’un véritable foisonnement dont l’une des composantes marquantes est certainement la résurgence d’un riche patrimoine culturel longtemps négligé.

 

LE SIECLE DES LUMIERES ET DE L'EAU DE COLOGNE 


Avec le perfectionnement des appareils servant à distiller et l’évolution des goûts, la parfumerie connaît au 18 e siècle un nouvel essor. Elle abandonne les lourdes senteurs animales, encore en vogue au siècle précédent, au profit de créations plus subtiles, comme les "quintessences" et les "esprits". Celles-ci sont en accord avec la mentalité d’une aristocratie où triomphent les philosophies sensualistes, les fêtes galantes et les tables raffinées.

Au siècle des Lumières, apparaissent de grandes dynasties de parfumeurs, comme les Fargeon, Houbigant, Lubin. Jean Fargeon est le parfumeur de Louis XV et de toute sa cour, qu’on surnomme alors en Europe "la cour parfumée". En raison des sommes énormes que lui doivent ses nobles clients (Louis XV lui-même lui acheta des parfums sans jamais le payer), Jean Fargeon fait faillite en 1778. Mais son fils, Jean-Louis Fargeon, devient par la suite le parfumeur de la reine Marie-Antoinette et s’installe rue du Roule. Un autre parfumeur célèbre, Jean-François Houbigant possède une boutique, A la corbeille de fleurs, rue du Faubourg-Saint-Honoré. Ses huiles à la rose, à l’amande, au géranium, sa crème de rose aux limaçons, sont très réputées.

Elle a ses origines en Italie. Un négociant italien établi en Allemagne, du nom de Jean-Paul Féminis, rapporta à Cologne, vers la fin du 17e siècle, une recette dont il confia le secret à son petit neveu, Jean-Marie Farina qui sut en assurer le succès. Revigorante et discrètement parfumée, cette composition suscite, vers 1760, un prodigieux engouement et de multiples émules. Yardley crée à Londres l’"English Fine Cologne". Mülhens réalise la célèbre "4711" et Louis-Toussaint Piver triomphe avec son eau de Cologne "A la Reine des Fleurs".

La vogue de cette "eau admirable" ne se démentira pas au siècle suivant. Un authentique descendant de Farina, établi au 331 rue Saint-Honoré, aura pour client Napoléon 1er et sa soeur Pauline et, cinquante ans plus tard, c’est encore grâce à son eau de Cologne Impériale que Pierre-François-Pascal Guerlain sera nommé fournisseur officiel de l’impératrice Eugénie.

 

LES PARFUMEURS-GANTIERS AU TEMPS DU ROI-SOLEIL


Au XVIIe siècle, les parfumeurs français, majoritairement des Parfumeurs-Gantiers, qui étaient réunis en corporation depuis Philippe-Auguste, obtiennent des statuts solides. Devenir maître gantier-parfumeur suppose quatre années d’apprentissage suivies de trois autres de compagnonnage. Colbert qui considère la parfumerie française comme une grande industrie nationale en puissance encourage son développement.  

Cet essor est favorisé par les grandes plantations d’orangers réalisées dans la région de Grasse où se multiplient aussi les cultures de plantes à parfum : rose, oeillet, tubéreuse, violette et jasmin. Dans le même temps, les compagnies françaises des Indes orientales et occidentales donnent aux parfumeurs un accès direct à de nombreux produits exotiques.

A Versailles où règne l’étiquette la plus rigoureuse, le parfum qui se décline à travers de multiples accessoires odoriférants (sachets, éventails, mouchoirs, vêtements, perruques, chapelets et gants parfumés) a évidemment pour fonction de manifester le rang social. Il forme autour de la personne un véritable halo qui la prolonge et la magnifie. Louis XIV, surnommé le "doux fleurant ", aime voir son parfumeur Martial lui préparer ses parfums. Le Prince de Condé assiste aussi au parfumage de son tabac. Cette plante, originaire d’Amérique, est fréquemment aromatisée à la fleur d’oranger, à la rose, au jasmin, au musc, à la civette, à l’ambre. Suivant l’ exemple de la maréchale d’Aumont qui a mis au point une formule de poudre dite "à la Maréchale", à base d’iris, de coriandre, de girofle, de calamus et de souchet, les courtisans confectionnent, pour se divertir, toute sorte de produits parfumés. A une époque où c’est Versailles qui donne le ton à toute la bonne société française et européenne, cette passion des senteurs est naturellement un puissant facteur de succès pour l’activité des parfumeurs.

Louis XIV aime tant les parfums qu’il leur devient allergique. Saint-Simon rapporte qu’excepté l’odeur de la fleur d’oranger, il ne pouvait plus rien supporter et qu’il fallait faire très attention quand on l’approchait. "Jamais homme, conclut le moraliste, n’aima tant les odeurs et ne les craignit tant après, à force d’en avoir abusé". Mais, l’allergie royale ne saurait suffire à remettre en cause les pouvoirs prophylactiques, thérapeutiques et nettoyants accordés au parfum. Plus que jamais, il est censé protéger du mauvais air. L’environnement odorant d’un palais qui ignore les latrines est, en effet, épouvantable. On fait donc brûler dans les pièces du château quantité de cassolettes. Et, en temps de peste, ce sont des "parfumeurs" rétribués par les villes qui désinfectent, à l’aide de fumigations aromatiques, parfois renforcées par des effluves violents (ceux du soufre, de l’arsenic, de la poudre à canon), les maisons contaminées et les habitants.

 

LA RENAISSANCE ET L'APOGEE DE LA SERENISSIME 


A la Renaissance, Gênes et Venise contrôlent le trafic en Méditerranée. Leurs navires marchands, s’appuyant sur de nombreux comptoirs et de puissantes marines de guerre, ont un quasi monopole du transport des produits venus du Proche ou de l’Extrême Orient. La Sérénissime République de Venise tient un rôle de tout premier plan dans le commerce des denrées précieuses.   

Dans les entrepôts du Grand Canal s’accumulent soieries et étoffes rares mais surtout épices et aromates d’une valeur considérable qui font de Venise, la ville la plus riche d’Europe. Sa domination dans le commerce des substances odorantes s’accompagne d’un essor remarquable des industries de luxe qui déborde les limites de la République. Il n’est pas étonnant que l’Italie devienne la terre d’élection de la parfumerie. Poudres à la violette, à l’iris, à la rose musquée, à la jacinthe, nettoient la chevelure. Eaux cosmétiques à la cannelle, camphre, citron, camomille, embellissent la peau. Eaux de senteurs au musc, lys, ambre, fleur d’oranger, laissent un séduisant sillage. Bains de bouche au gingembre, mastic, clou de girofle, romarin sont garants d’une bonne haleine. Huiles et pommades à la rose, orange, citron, complètent la panoplie aromatique de l’époque. Le benjoin de Sumatra et du Siam, une résine dont les belles larmes translucides, exhalent une odeur vanillée, entre dans de nombreuses préparations, comme l’"Eau d’Ange" qui, à en croire Rabelais, était très appréciée des dames de l’abbaye de Thélème.

A la fin du XVIe siècle, la Sérénissime est toujours fastueuse mais les premiers signes d’un essouflement sont perceptibles. Concurrencée par les navires hollandais, anglais et français, elle perd peu à peu son rôle dominant dans le transport des produits de luxe. Et, en matière de parfumerie, c’est la France qui va prendre la première place.

 

LE MOYEN-AGE : POMMES D'AMBRE ET EAU DE LA REINE DE HONGRIE


A l’époque médiévale, la parfumerie connaît en Occident un recul certain. Depuis que Rome s’est écroulée, au Ve siècle après J.C., sous les coups des barbares, l’art du parfum s’est réfugié dans l’empire byzantin. De plus, à la suite des Pères de l’Eglise, l’usage profane des senteurs, symbole de la frivolité du monde païen, est condamné.

Mais, au fur et à mesure que les croisés reviennent de leurs lointaines expéditions en Orient, ils en rapportent cosmétiques et senteurs (en particulier, l’eau de rose). On attribue aux Arabes, héritiers des connaissances antiques en la matière, un rôle déterminant dans l’évolution de la parfumerie grâce à la mise au point de l’alambic et du serpentin. Ces instruments permettent la distillation de l’alcool, technique qui ouvre la voie aux parfums modernes. Le premier produit parfumé à substrat alcoolique apparaît en Europe au XIV e siècle : c’est la célèbre "Eau de la Reine de Hongrie", à base d’esprit de vin et de romarin. Considérée comme une véritable panacée, elle protège de tout, même de la peste. L’arrivée de ce fléau qui frappe la France de plein fouet en 1348 et décime en quelques années le quart de la population européenne favorisera un usage intensif des parfums. Soupçonnant l’eau d’ouvrir les pores de la peau à l’air pestilent, les médecins conseillent de recourir, pour se nettoyer, aux vertus purifiantes et protectrices des substances aromatiques.

On les trouve sous des formes très diverses. Poudres, lotions, sirops, boîtes de senteurs, "oiselets de chypre" (pâte parfumée moulée en forme d’oiseau), sont censés faire barrage à la pénétration de l’air putride. L’accessoire le plus sophistiqué de cette arômathérapie est sans doute la pomme d’ambre. D’origine orientale, c’est une boule en or ou en argent, souvent incrustée de perles et de pierres précieuses. Elle contient, comme son nom l’indique, de l’ambre, substance parfumée provenant des concrétions intestinales du cachalot. Mais la pomme d’ambre, en raison de son prix, est réservée aux rois, aux princes et aux plus fortunés. Les personnes de condition plus modeste se contentent de pommes de senteurs garnies d’ingrédients moins rares (aloès, camphre, basilic, menthe sèche), ou même d’une simple éponge imbibée de vinaigre.

 

L’EGYPTE DES "PARFUMÉS"


Dans les civilisations antiques, les parfums, obtenus sans alcool ni distillation, se présentent sous la forme d’huiles et d’onguents odorants ainsi que d"encens" qui dégagent en brûlant d’agréables odeurs. Leurs ingrédients, difficiles parfois à identifier aujourd’hui, sont pilés, broyés, mélangés et cuits longuement ensemble.  

C’est bien, avant tout, à une fonction sacrée des parfums et des aromates, offrandes destinées aux dieux, au souverain et aux morts, que renvoient papyrus et bas-reliefs égyptiens. La fabrication même des parfums est étroitement liée à la religion. Si la formule du "kyphi", à l’odeur florale et sucrée, est gravée en caractères hiéroglyphiques sur les murs du temple d’Edfou, c’est que les temples renfermaient dans leurs enceintes des laboratoires dont les parfumeurs étaient des prêtres. Les pratiques funéraires des anciens Egyptiens témoignent encore de l’extrême importance des parfums. En empêchant la putréfaction du défunt et en lui communiquant une bonne odeur, les rituels d’embaumement, longs et complexes, sont destinés à faire de lui un "Parfumé", un dieu. Quant aux utilisations profanes, elles ne se limitent pas à la toilette et à la séduction mais intègrent des fonctions sanitaires et thérapeutiques. Ansi, le "kyphi", le parfum deux fois bon, est-il réputé pour ses vertus relaxantes et utilisé comme médicament dans les maladies pulmonaires et hépathiques.

Berceau de la parfumerie, l’Egypte exporte encore au 1er siècle après J.C., dans tout le monde antique, ses célèbres parfums comme le "métopion", une huile d’amandes amères qui sert de support à l’omphacium (verjus), au cardamone, à la myrrhe, à la térébinthine, au galbanum, au miel, au vin, au jonc et à la graine de baumier.

Avec l’annexion de l’Egypte par Octave, Rome s’empare également de ses circuits commerciaux au Moyen-Orient. Elle dispose, dès lors, d’ une profusion de produits aromatiques favorisant une consommation débridée, illustrée par les fameux banquets de Néron : tandis que des plafonds pleuvent de fines gouttelettes d’essences rares, des colombes au plumage imprégné de senteurs rafraîchissent les convives à grands coups d’aîles.

Annick Le Guérer